PLAYLIST DE
janina
dansEUSE

PARIS
@andnose

“ La musique déclenche en moi une émotion qui fait que quelque chose lâche.
Et puis, ça sort.
Et puis, mes mouvements traduisent ma propre vérité. ”

Je suis née en Estonie mais une partie de ma famille est Russe. Une autre partie de ma famille vient de Lettonie. L’Estonien n’est pas une langue slave, comme le Russe, mais plutôt Nordique. Il y a, entre ces pays, des différends dans la culture, dans la langue, la politique etc… ce qui fait que je me suis toujours sentie entre deux cultures dans ma famille. À avoir du mal à me rattacher à l’une ou sentir que j’appartenais vraiment à l’autre. A cet âge là, je n’ai pas su m’exprimer et prendre la parole avec les mots, alors j’utilisais la danse pour extérioriser ce que je ressentais. Ca m’a permis à ce moment là de ma vie, d’être plus libre et de vivre dans mon propre monde. 

Je rentrais de l’école et je dansais. Le canapé était mon public et le salon, ma piste de danse. Je m’imaginais des scénarios différents, tels que faire partie d’une troupe de danseurs et être danseuse pour Justin Timberlake. C’était vraiment une nécessité pour moi, une sorte “d’escapisme”. (trad. échappatoire)

J’étais assez timide comme adolescente dans ma vie de tous les jours, mais je ne l’étais pas quand j’étais sur scène. Aujourd’hui, quand je danse, je suis dans ma bulle et complètement à l'aise, que ce soit sur une grosse scène avec Angèle ou seule dans un studio de répétition. Bizarrement, les seuls moments où je suis sur scène et intimidée, sont les moments ou je danse devant très peu de gens, dont ma famille ou mes amis. Je trouve ça beaucoup plus intime et déstabilisant que de danser devant des milliers de personnes. 

Mon copain, pendant le confinement, s’est crée des petites playlists pour peindre. Il devait y avoir 10 morceaux qui tournaient en boucle, et qui variaient entre Freeze Corleone et Renaud. Il est capable de se créer une bulle musicale dans laquelle il va rester tant qu’il n’aura pas fini sa toile en cours. 

Mon rapport à la musique est aussi important que le sien, mais très différent. Quand je suis à la maison toute seule disons, je suis souvent sans musique. Si je dois avancer sur des choses précises chez moi, ranger ou autres, je ne peux pas écouter de musique trop stimulante sinon je me perds, j’arrête tout et je me mets à danser. 

Dans la rue c’est pareil. Parfois je mets des écouteurs, mais souvent je reste sans musique. C’est peut-être cliché mais dans la rue, j’aime entendre les bruits de la ville, les oiseaux, la pluie ou des bouts de conversations. 

J’ai déjà vécu des moments hors du temps sur scène qui sont spéciaux pour pleins de raisons qui sont assez difficiles à expliquer. Comme s’il y avait un alignement entre la musique, les instruments, la lumière, mes mouvements, mon état d’esprit et mon corps. Quand j’en parle, j’appelle ça des moments de “présence ultime”. Comme si mon esprit prenait une photo d’un instant présent ou tous les éléments sont alignés. Ca peut durer une seconde, mais dans ces moments là, tu te souviens de tout : qui était à côté de toi, les détails de la salle dans laquelle tu danses, l’odeur, les lumières, les frissons, les notes aigües ou graves de la musique… tout. Ça peut paraître un peu mystique ou voodoo, mais dans ce moment là, je sens un état de transe, comme si j’étais en connection avec tous les éléments. Ca n’arrive pas souvent mais quand ça arrive, c’est incroyable. 

Ça, c’est pour le côté très personnel. Après, ça arrive aussi sur des tournées avec plusieurs danseurs en même temps. Je me souviens sur la tournée d’Angèle, on avait vécu un moment comme ça avec les 5 autres danseuses. On était sorties de scène après une chanson, et on s’était toutes regardées en réalisant qu’on était toutes frissonnantes et qu’on venait de vivre un moment suspendu. Il me semble que c’était sur la chanson “Tu me regardes”. 

On a tourné un clip en Islande avec Neels Castillon pour Hania Rani (compositrice et pianiste Polonaise), nous étions trois danseuses. C’était sur une plage en Islande et il faisait -7 degrés avec beaucoup de vent. C’était pas prévu du tout comme ça, mais en plus de la musique qui sortait des petites enceintes qu’on avait, il y avait aussi les éléments naturels à prendre en compte et qui s’imposaient à nous surtout. Là c’était le froid et le vent, mais on est toujours impacté.e.s, même inconsciemment, par les éléments extérieurs tels que la lumière, la chaleur, le froid, l’environnement, l’énergie, la fatigue ou la taille du public lorsque l’on danse. 

Il m’arrive parfois de pleurer en dansant…

Je peux commencer une session, sans être forcément triste ou nostalgique, puis me mettre à pleurer au bout de quelques chansons. Mais ça m’arrive rarement. La musique reste quand même une thérapie assez puissante. Lorsque tu as une émotion enfouie, inconsciente ou un sujet qui n’a pas été complètement traité, c’est quasi assuré que cette émotion va ressortir d’une façon ou d’une autre pendant la danse. La musique déclenche l’émotion qui fait qu’il y a quelque chose qui lâche en toi. Et puis ça sort, et ça sort. C’est assez magique je trouve; et puis c’est beau, puisque c’est la vérité. Le résultat de ça est que tes mouvements vont être naturels, pas forcés et traduire ta propre vérité. 

Il y un artiste Estonien que j’écoute en ce moment, qui s’appelle Vaiko Eplik et qui me rappelle les ballades à vélo, l’été, en bord de mer. Et je l’ai pas mal écouté en boucle récemment. 

Je me suis demandé si je pouvais créer ou danser dessus, et je n’ai toujours pas la réponse. Parfois j’aime tellement certaines chansons que je n’ose pas créer dessus parce que j’ai l’impression de ne rien pouvoir apporter à l’oeuvre. Que, quoi qu’il arrive, la musique gardera le dessus, et que je ne pourrai pas trouver ma place en dansant. Peut-être que c’est juste dans ma tête, je ne sais pas. 

Je suis souvent plus touchée par de la musique live que la musique enregistrée. Il y a une histoire de volume sonore et de vibrations qui joue énormément sur le ressenti en tant que danseurs et public.
Les parents d’une de mes amies, en Estonie, sont abonnés au “Concert Hall” de leur ville, et vont donc souvent voir des opéras. Quand je rentre chez moi visiter ma famille, je prends le temps d’aller à l’opéra avec ma copine et sa famille. Son père, au début de l’opéra, s’installe au fond de son fauteuil, ferme les yeux et pose ses mains ouvertes vers le ciel, sur ses genoux. Puis, il passe toute la représentation dans cette position. Souvent, on voit des larmes couler doucement le long de ses joues...
J’aime toujours autant regarder les musiciens en live, leur façon de bouger et leur complicité. Mais maintenant, de temps en temps, je fais comme lui de temps en temps et j’adore. J’ai l’impression que le fait d’avoir le corps en position ouverte, prêt à recevoir les ondes, les vibrations et les émotions, a un énorme impact sur l’expérience.