PLAYLIST DE
OCTAVE MARSAL
PLASTICIEN

PARIS
@OCTAVEMARSAL

“Être artiste veut dire être souvent seul, alors la musique me tient compagnie.”

J’ai une mère sino-réunionnaise, et un père Polonais-Allemand, donc quatre origines. J’ai entendu rapidement du “Séga”, la musique traditionnelle réunionnaise, et de la musique classique avec “Wagner” du côté de mon père. Donc j’ai eu une introduction particulièrement contrastée à la musique. Entre les instruments des îles avec des couleurs très chaudes, et la rigueur allemande de la musique classique de l’époque.

 La découverte du “Séga” m’a ouvert les portes de la musique très instrumentale, avec des groupes comme “Buena Vista Social Club”, mais aussi des choses plus lyriques, plus chantées comme Césaria Evora par exemple.

J’ai des chansons parfois qui flottent comme ça dans le temps. Je me souviens avoir entendu pour la première fois “Aragon” interprété par Léo Ferré, et avoir été bouleversé par cette chanson. Je l’ai ré-entendue quelques années plus tard, et je me souviens avoir été plongé dans une réminiscence assez intense, comme un voyage sonore dans le temps.

On me parle souvent d’inspiration picturale, alors que la musique occupe une part très importante dans la vie personnelle et professionnelle des créatifs. J’ai toujours vu mes amis en école d’art écouter du son en travaillant, en créant. Je considère que j’ai énormément de chance de faire un travail avec lequel je peux me permettre d’écouter de la musique toute la journée. D’ailleurs, je réalise que depuis mon déménagement en maison, le fait d’écouter de la musique sur une platine vinyle et de vraies enceintes, change même ma création en elle-même.

Mes inspirations musicales sont très classiques, dans le sens où, les compositeurs que j’aime le plus sont du 18e siècles. L’époque baroque avec Bach et Vivaldi, reste pour moi la plus belle musique de tous les temps. Quand j’écoute de la musique Baroque en travaillant, j’ai l’impression de voyager dans un autre temps et d’être un homme du 17e siècles. Peut-être qu’on a tous eu des vies antérieures avant de se réincarner en ce que l’on est aujourd’hui ; si c’est le cas, je suis persuadé que j’ai été une sorte d’architecte Gothique d’une autre époque, tellement je me sens proche et je me transpose loin en écoutant cette musique. J’adore profondément le Rap, j’adore SCH, j’écoute et je suis ce qui se fait aujourd’hui, mais je suis incapable d’en écouter lorsque je travaille.

La musique pour moi est un état méditatif, comme le fait de dessiner. C’est d’ailleurs pour ça que je n’arrive pas à faire de méditation dans ma vie de tous les jours. J’associe la musique à des moments de concentration. Quand j’écoute Mozart, je sens l’application et la concentration dans la réalisation de son concerto, et c’est quelque chose que je veux appliquer dans mes illustrations. Je ne passe pas beaucoup de temps à chercher la musique que je vais écouter pour travailler. Ce sont souvent les mêmes concertos, les mêmes périodes de musique classique, voir différentes interprétations du même morceau.

C’est pour ça qu’aujourd’hui, la musique classique fait pleinement partie de mon processus créatif. C’est pour moi la plus belle musique au monde, dans les harmonies principalement et dans ce que j’attends de la musique. Je connais toute la musique de Bach par cœur. J’ai mis plus de temps à comprendre le génie de Mozart, mais aujourd’hui j’écoute énormément ses concertos.

Je me souviens que pendant longtemps d’ailleurs, le seul groupe que je pouvais écouter en travaillant était Pink Floyd, je ne sais pas pourquoi.

J’ai commencé, à partir de mon Master, à dessiner la musique. J’ai fait un concert synchronisé sur la musique de Bach, où l’idée était de mettre en image un concerto. J’ai étudié le concerto, et je l’ai divisé en nombre d’images voulues, donc 12 images par seconde. J’ai pu mettre des marqueurs graphiques sur l’ensemble du morceau, pour ensuite faire 2.500 dessins calés sur les basses ou les violons par exemple. C’était en collaboration avec le Royal College of Music, la synchronisation et la performance orchestrale des musiciens de 5e année était époustouflante.

Dans la même veine aussi, je recommande vivement de regarder quelque chose qui s’appelle “The Optical Poem” de Oscar Fischinger. C’est un homme qui, en 1938, a fait une animation visuelle sur le “Rapsody” de Leeds. C’est une vidéo de 7 minutes avec des ronds de couleurs animés. Je me suis toujours demandé ce qu’il aurait pu faire s’il avait fait ça avec les moyens et la technologie d’aujourd’hui. C’est à dire des rétroprojecteurs, le concept du “mind mapping”, de projeter les dessins en temps réel sur de la musique classique, qui permet ça puisque c’est une musique qui est extrêmement précise dans la métrique.

J’ai créé cette œuvre (ci-dessous) en écoutant ce pianiste autodidacte Arménien qui s’appelle Tigran Hamasyan. Ce monsieur à fait un album qui s’appelle “A Fable” qui est absolument magnifique. Je l’ai vu 3 fois en concert, et cet album m’a inspiré le dessin suivant.

Le rapport entre la technique du dessin et la technique d’un instrument est extrêmement similaire. On me dit souvent “tu dois mettre beaucoup de temps à faire tes dessins…” Non, en réalité, je dessine extrêmement vite. La main d’un illustrateur a une mémoire, tout comme la main d’un pianiste. Mes traits vont très vites et sont très droits mais j’ai mis longtemps à arriver à cette technique. Et je peux le voir en changeant de main d’ailleurs. Je dessine comme un enfant de 6 ans de la main gauche. Il y a une énorme similarité entre ma technique du piano et ma technique du dessin, et je parle souvent de mon rapport au piano et cette passerelle qu’il y a avec le dessin.

Quand j’ai vraiment envie de travailler, je ne veux pas chercher longtemps une musique, j’ai envie de me lancer tout de suite. Donc je vais souvent naturellement vers une playlist disponible sur Youtube qui s’appelle “Les Essentiels de Bach” pour commencer. Ensuite quand je ne suis plus dans une phase de conception, de création, d’imagination dans mon illustration, mais que je bascule plutôt sur de la technique, j’écoute souvent du Reggae. Ce sont des rythmiques beaucoup plus élancées et vivantes qui me correspondent plus dans cette partie là de mon travail.

Je n’aurais jamais pu être graphiste. Travailler dans un bureau avec des sonneries de téléphone, des interruptions, des discussions annexes, etc… J’ai besoin d’être très concentré pour travailler et la musique, comme je l’ai dit, m’aide en ça. Être artiste c’est surtout être souvent seul, alors la musique me tient compagnie. C’est aussi pour ça qu’elle fait partie intégrante de mon processus créatif.

Si j’avais un atelier de 1.000 m2, de grands fusains et une toile de 13 mètres devant moi à réaliser, je pense que je mettrais de la musique très différente de ce que j’écoute aujourd’hui. Quelque chose qui m’emmènerait plus loin, qui favoriserait une gestuelle plus ample et aléatoire. Des chansons plus entraînantes qui m’apporteraient des mouvements différents.

Il y a des moments où vraiment j’ai besoin d’une concentration extrême, comme sur les carrés Hermès que je dessine. Je ne peux pas me permettre de rater la ligne car 40 personnes vont travailler derrière avec 1 an et demie d’attente dans la création. C’est un travail très exigeant sur la technique de dessin. J’écoute des concertos très précis et très doux, comme Eric Satie pour ne citer que lui.

En ce moment, quels sons te donnent la chair de poule ?

Flavien Berger est un artiste que j’écoute beaucoup quand je travaille. Je trouve que ses harmonies sont tellement douces et aériennes, que j’arrive souvent à m’échapper de ma réalité.


Si ta dernière création était une chanson, elle serait...

En fait c’est quasiment une chanson déjà puisque c’est un autre travail de musique à l’image que j’ai réalisé récemment pour un clip de Bob Marley, et sa chanson “Rédemption Song”.

Tu voudrais entrer dans l’intimité musicale de quel.le artiste ?

J’aurais envie de rentrer dans la bulle intime et créative de Durer. C’est clairement un des plus grands artistes de l’histoire de l’art pour moi. Un maître de la gravure et de la Renaissance Allemande. Il mériterait d’ailleurs d’être plus connu qu’il ne l’est aujourd’hui. Il a plus de 10 000 gravures à son actif. Mon premier tatouage est un dessin d’une de ses gravures d’ailleurs. C’est vraiment une de mes plus grandes inspirations.


Sinon, en plus récent, vivant et accessible, je dirais Léo Walk, qui est un très bon pote et danseur. La danse est l’art où le rapport avec la musique est le plus direct et visuel. Je pense qu’il adorerait faire cette interview pour partager son rapport très charnel et physique à la musique, et du coup sa playlist.