PLAYLIST DE
lucie sassiat
PHOTOGRAPHE

PARIS
luciesassiat.com
@luciesassiat

“La musique nourrit mes obsessions.”

Mon premier souvenir est une lumière. C’est un souvenir visuel ; les phares d’une voiture sur le plafond de ma chambre. C’est quand même relié à l’appartement dont je parle dans l’anecdote suivante.

Ma mère, enceinte de moi, l'été de canicule 1986, a un voisin qui écoute en boucle la nuit Calling you de Jevetta Steele. Il vient de vivre un chagrin d’amour et par les fenêtres ouvertes, ma mère entend cette chanson encore et encore. Quelques années plus tard je l’entends à mon tour et me retrouve transportée dans une forte émotion, une mélancolie profonde mais addictive. Comme quoi la mémoire, les sonorités ou les souvenirs commencent bien avant notre naissance.

C’est une musique qui m’accompagne très souvent, qui invite à l’introspection, aux voyages. Ça m’évoque l’insomnie aussi, ou le silence de la nuit. Tout en ayant la particularité d'être source de création, elle est parfois aussi angoissante. Pour le traduire en lumière, je parlerais de clair-obscur, de lumières dures.

La musique a une place récréative d’un côté, pour relâcher, décompresser, m’amuser, chanter. Et d’un autre côté, elle est un déclencheur. Un déclencheur d’une ou plusieurs émotions. Elle est le point de départ de mon travail photographique. Je pars d’une émotion, d’un ressenti, pour raconter une histoire ou une rencontre.

J’écoute de la musique quand je marche, quand je me déplace. Dans les trains, les avions.

En général, j’aime soit les chansons qui m’ont rendue très triste ou accompagnée lors de périodes compliquées de mon existence ; ou à l’inverse, celles qui me font danser toute la nuit.

C’est une relation que tu qualifierais de…

Paradoxale ! À certains moment, je ne peux pas écouter certains morceaux qui parfois déclenchent trop d’émotions et de souvenirs ; alors que parfois la musique m’aide à m’évader.


Est-ce qu'il peut t'arriver d'associer un son à une forme, une couleur, une image, une matière, ou une œuvre finale même ?

Toujours. Cela peut-être un mouvement, un visage, une photo finale ou une scène, mais en général c’est une action ou un mouvement. Surtout quand je suis en écoute active, à la recherche d’idées. Je peux écouter en boucle une chanson des dizaines de fois pour revivre encore et encore la sensation qu’elle me procure.


As-tu déjà créé une œuvre en écoutant une chanson, un artiste ou un album en particulier ?

À chacune de mes histoires je crée des playlists spécifiques. Ça me plonge dans l’univers que je veux créer, ça favorise l’écriture de situation et de scènes que j’ai en tête en amont. Ensuite, ça me replonge dans ces états pendant le shooting ou le tournage.

Je peux parler, par exemple, de ta dernière chanson (Simon). Quand j’ai écouté Assez ? de Magenta, elle a été un déclencheur pour la réalisation de ma dernière vidéo. Une vidéo d’une danseuse sur une plage, près des falaises, inspirée du travail de Neels Castillon et Fanny Sage. J’ai écouté cette chanson en boucle, surtout la partie lancinante, entraînante et répétitive des dizaines de fois. Je l’ai également mise pendant le tournage pour la danseuse, puis ensuite, nous avons monté sur une autre chanson, sur un autre rythme, afin de monter plus facilement. Mais au final, je vais demander à un ami musicien de créer l’ambiance sonore directement sur la vidéo.

Dans quelle atmosphère sonore aimes-tu te plonger pour travailler ? As-tu un rituel de travail ?

Non, je n’ai pas forcément de rituel dans mon travail. Quand je suis en séance photo, je propose toujours aux mannequins si iels ont envie de mettre une musique particulière. Si non, je change et je sélectionne la playlist en fonction de l’énergie que je veux donner aux images. Plus ou moins mélancoliques, sensuelles ou parfois même une énergie plus troisième degré. Quand je suis en prépa ou en post-production, je travaille aussi souvent dans le silence, ou en écoutant des podcasts…


Peux-tu décrire l'état émotionnel que te procure la musique ?

Ça se situe vraiment au niveau du "chakra manipura", le chakra de la créativité au niveau du ventre. La musique me provoque une émotion, une sensation. C'est pour ça que c'est un puissant moteur pour ma créativité. C'est peut-être dû aux vibrations des rythmiques ou des mélodies.
Lorsqu’une chanson me stimule ou me bouleverse, je vais vouloir l’écouter en boucle. J’ai un rapport frénétique et obsessionnel avec les musiques que j’aime. La musique nourrit mes obsessions.


Quel impact a-t-elle eu sur ta création ? sur ton oeuvre finale? sur ta productivité?

C’est un impact sur l’inspiration au départ, je pars de ça. D’abord elle m’accompagne, puis je l’abandonne. Ensuite l’image vit seule, et elle suffit à me nourrir.


Si ta dernière création était une chanson, elle serait…? Et ta prochaine ?

L’été des quatre saison de Vivaldi. Et la future création de Soloma.


Tu voudrais entrer dans l’intimité sonore de quel.le artiste ?

J’adorerais entrer dans l’intimité sonore de Sofia Coppola car elle a bercé toute mon adolescence avec son magistral "Virgin Suicides”. Sinon dans celle Céline Sciamma dont j’adore l’univers.